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Big Tech et cybersécurité : l’Union européenne entre régulation, résistance et souveraineté numérique

par | 5 Mai 2025

La montée en puissance des grandes plateformes américaines dans les infrastructures numériques critiques a placé la cybersécurité au cœur d’un affrontement plus vaste entre souveraineté européenne et intérêts économiques globaux. À mesure que Microsoft, Google, Apple, Meta ou Amazon renforcent leur maîtrise sur les services cloud, les identifiants, la messagerie ou les modèles d’IA, l’Union européenne déploie un arsenal législatif de plus en plus ambitieux. RGPD, DSA, DMA, NIS2 ou AI Act : autant de tentatives pour encadrer une puissance technique qui échappe souvent au contrôle politique. Dans ce paysage, la cybersécurité devient une pièce centrale, un levier de souveraineté, mais aussi un terrain de tension croissante.

Le cadre européen : un arsenal réglementaire à plusieurs étages

Depuis le RGPD en 2018, l’UE a clairement affiché son ambition de poser des règles strictes en matière de protection des données. Mais ce texte, bien que fondateur, ne suffit plus. Avec le DSA (Digital Services Act) et le DMA (Digital Markets Act), Bruxelles entend imposer des obligations plus larges : transparence algorithmique, lutte contre les abus de position dominante, accès équitable aux marchés numériques.

Le récent AI Act vise quant à lui à encadrer les systèmes d’intelligence artificielle selon leur niveau de risque, avec une attention particulière aux modèles génératifs. Et NIS2, adopté en 2022, impose des exigences de cybersécurité accrues à des opérateurs de plus en plus nombreux, y compris dans le secteur privé.

Ces réglementations montrent une volonté claire : construire un espace numérique européen plus sûr, plus transparent et moins dépendant des modèles imposés par les Big Tech.

Cette volonté se manifeste aussi par des sanctions croissantes : à titre d’exemple, Meta a été condamné à plus de 2 milliards d’euros d’amendes en cinq ans, dont 1,2 milliard en 2023 pour transfert illégal de données vers les États-Unis. Amazon a écoppé de 746 millions d’euros en 2021, Google cumule plus de 8 milliards d’euros d’amendes européennes, tandis qu’Apple a été sanctionné à hauteur de 1,8 milliard en 2024 pour abus de position dominante. TikTok, plus récemment, a été frappé par deux sanctions : 345 millions d’euros en 2023 pour la protection des mineurs, puis 530 millions en mai 2025 pour transfert illégal de données vers la Chine. Ces chiffres montrent que l’UE ne se contente pas d’encadrer par la norme : elle agit aussi par la sanction.

Microsoft, Google, Apple : quand la sécurité devient un outil de verrouillage

Les GAFAM, souvent en tête de classe sur les questions de sécurité, utilisent aussi cette excellence pour renforcer leur emprise. Microsoft en est l’exemple le plus visible. La fin annoncée de la gestion des mots de passe dans Authenticator, remplacée par une intégration exclusive avec Edge, en est une illustration : à travers une promesse de sécurité accrue (passkeys, synchronisation chiffrée), l’utilisateur est conduit à abandonner toute solution tierce.

Apple suit une logique similaire : l’accès à son écosystème reste strictement contrôlé, sous prétexte de sécurité et de confidentialité. Quant à Google, ses systèmes de sécurité (Safe Browsing, protection anti-phishing, sandboxing) sont performants, mais uniquement disponibles via ses propres services.

Derrière ces choix techniques se profile une stratégie plus large : utiliser la cybersécurité comme levier d’enfermement dans un écosystème propriétaire. À mesure que les exigences en matière de sécurité augmentent, seuls les produits de la Big Tech sont présentés comme suffisamment sûrs. L’utilisateur n’est plus réellement libre de choisir : il adopte ces outils non plus seulement pour leur performance, mais parce qu’ils deviennent, en pratique, les seuls reconnus comme « conformes » ou « sûrs ».

Cyberdépendance et souveraineté : un équilibre instable

La majorité des infrastructures critiques européennes dépendent aujourd’hui d’outils fournis par les Big Tech : Microsoft 365, Google Workspace, AWS, etc. Cette réalité pose une question cruciale : peut-on assurer une cybersécurité stratégique sur des systèmes opérés hors d’Europe ?

Les tentatives de réponse, comme le cloud de confiance ou SecNumCloud, peinent à s’imposer. Les projets comme Gaia-X se heurtent à la complexité du marché, au manque d’adoption par les grands comptes, et à une concurrence technologique redoutable.

Pendant ce temps, les Big Tech s’ancrent plus profondément : Microsoft noue des partenariats avec des opérateurs locaux pour l’hébergement souverain, tout en gardant la maîtrise du code. L’indépendance est donc relative, et les marges de manœuvre européennes limitées.

L’Europe face à ses propres contradictions

L’Union européenne entend imposer une ligne claire, mais ses propres institutions utilisent massivement les services des Big Tech. Le Parlement européen, la Commission et de nombreuses administrations nationales s’appuient sur des solutions Microsoft ou Google. Cette situation fragilise le message politique et montre à quel point la dépendance est ancrée.

Par ailleurs, la complexité des textes européens (RGPD, NIS2, AI Act) rend leur application inégale selon les États membres. Les régulateurs locaux manquent parfois de moyens pour vérifier la conformité effective des grands fournisseurs.

L’exemple de TikTok est révélateur : en mai 2025, la DPC irlandaise a infligé une amende de 530 millions d’euros pour transfert illégal de données vers la Chine. Mais cette décision tardive illustre aussi le décalage entre la vitesse des marchés et celle des autorités.

Une bataille technique, mais surtout politique

La cybersécurité devient un instrument d’influence géopolitique. Derriere les mesures techniques se cachent des visions opposées du numérique : liberté d’entreprendre et logique marchande côté américain, régulation et intérêt général côté européen.

L’UE ne cherche pas seulement à imposer des normes de sécurité ; elle tente de reprendre la main sur l’orientation technologique du continent. Cela suppose d’investir, de former, de soutenir des acteurs locaux capables de proposer des alternatives crédibles. Cela suppose aussi une volonté politique forte, à la hauteur des enjeux.

Une bataille structurelle à poursuivre

Dans ce nouveau théâtre d’affrontement entre Big Tech et Europe, la cybersécurité n’est plus un dossier technique : c’est une bataille de modèles. Chaque amende, chaque texte de loi, chaque retrait de fonctionnalité est un signal. La question n’est plus de savoir si l’Europe va réguler, mais si elle sera en mesure d’imposer une alternative opérationnelle, souveraine et sécurisée à l’empire logiciel déjà en place. Et si les entreprises européennes sauront, demain, faire un choix éclairé entre conformité, efficacité et indépendance stratégique.

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