Longtemps cantonné à un rôle purement technique, le Chief Information Security Officer (CISO), ou responsable de la sécurité des systèmes d’information (RSSI) en français, est devenu un acteur central de la gouvernance d’entreprise. Il incarne aujourd’hui bien plus qu’un simple garant des pare-feu ou des antivirus : c’est un stratège chargé d’évaluer les risques numériques, d’assurer la conformité réglementaire et de protéger les actifs les plus critiques de l’organisation. Pourtant, cette montée en puissance s’accompagne d’un défi majeur : parler le langage des conseils d’administration.
« Deux mondes, deux langages. »
D’un côté, les conseils d’administration, imprégnés de logiques financières, de performance et de gouvernance. De l’autre, les CISOs, nourris de métriques techniques, de scores de vulnérabilités et d’indicateurs de sécurité. Ce décalage n’est pas anodin : il génère malentendus, incompréhensions et parfois même une sous-évaluation des risques cyber. Lorsqu’un CISO évoque un CVSS à 9.8 ou une vulnérabilité critique sur un actif exposé, le conseil attend, lui, une réponse simple à une question essentielle : quel est le risque financier, juridique ou opérationnel pour l’entreprise ?
Ce fossé de communication est d’autant plus préoccupant que les conseils d’administration sont désormais tenus, y compris en France et en Europe, d’assumer une responsabilité accrue en matière de cybersécurité. Des textes comme la directive NIS2, le RGPD ou le règlement DORA rendent explicite la nécessité d’une gouvernance cyber, documentée, assumée, supervisée. Dès lors, le CISO ne peut plus se contenter d’alerter ou de produire des tableaux de bord techniques : il doit convaincre, traduire, contextualiser.
« Une compétence désormais stratégique. »
Selon plusieurs études récentes, une majorité de dirigeants considèrent la cybersécurité comme un risque stratégique majeur, mais moins d’un tiers se sentent suffisamment outillés pour superviser ces enjeux. Le manque de clarté dans les échanges avec les CISOs est souvent mis en cause. Ces derniers, bien qu’experts dans leur domaine, peinent parfois à exprimer la portée business des cybermenaces. Il ne s’agit pas d’une faiblesse individuelle, mais d’un angle mort dans la formation de ces profils, trop rarement exposés aux codes du reporting exécutif.
Ce constat a conduit à la création d’un programme de formation spécifiquement conçu pour combler cette fracture. Intitulé « Risk Reporting to the Board for Modern CISOs », ce cursus s’adresse à des profils techniques désireux de s’approprier les outils de la communication exécutive. Il propose des méthodologies concrètes, des mises en situation, des modèles directement réutilisables. L’enjeu : transformer un diagnostic technique en narratif stratégique. Articuler une demande budgétaire autour de résultats mesurables. Répondre aux objections du board en alignant la cybersécurité avec la création de valeur et les objectifs de croissance.
Le programme explore notamment l’usage d’indicateurs de performance liés à la sécurité (KRI), la construction de matrices de risques compréhensibles par des non-techniciens, la hiérarchisation des priorités cyber en fonction de l’exposition réelle et des enjeux métiers. Il enseigne également l’art de positionner la cybersécurité comme levier de transformation digitale sécurisée, en valorisant l’anticipation des risques comme un avantage concurrentiel.
« Un enjeu français et européen. »
Si ce type de programme a été développé initialement dans des environnements anglo-saxons, la problématique est pleinement d’actualité en France. De nombreuses entreprises françaises, notamment de taille intermédiaire, sont en pleine structuration de leur gouvernance cyber. Le poste de CISO est parfois récent, rattaché à la DSI, au Risk Manager ou à la Direction générale selon les cas. L’absence de doctrine uniforme rend d’autant plus cruciale la capacité du CISO à se faire comprendre, à porter une vision claire, à influencer les arbitrages budgétaires.
Les réglementations européennes, en renforçant les obligations des conseils en matière de cybersécurité, mettent indirectement en lumière les lacunes de communication entre les échelons techniques et décisionnels. Les CISO doivent désormais maîtriser un triptyque complexe : technique, gouvernance et diplomatie interne. Leur mission n’est pas seulement d’éteindre les incendies numériques, mais d’anticiper, d’argumenter, de tracer une ligne directrice alignée sur la stratégie d’entreprise.
« Une évolution naturelle du métier. »
Cette évolution est loin d’être un reniement des compétences techniques : elle en est le prolongement naturel. À mesure que la cybersécurité devient une composante essentielle de la résilience organisationnelle, le CISO ne peut rester isolé dans une logique défensive. Il doit s’asseoir à la table des décisions, et pour cela, parler le langage de ses pairs : risques, ROI, priorités stratégiques, indicateurs de performance.
Il s’agit d’un changement de posture autant que de méthode. Le CISO devient un acteur politique interne, en charge de faire converger les intérêts de la DSI, de la direction financière, des RH, du juridique et du business. Il navigue entre les silos, fédère les parties prenantes, arbitre entre contraintes réglementaires et exigences opérationnelles. En ce sens, le programme « Risk Reporting to the Board » n’est pas une option pour demain : c’est un levier de transformation pour aujourd’hui.
« Replacer le CISO au cœur de la stratégie. »
En dernière analyse, ce chantier de montée en compétences des CISOs est une chance. Il permet de repositionner la cybersécurité comme un pilier de la stratégie, et non comme un simple poste de coût. Il offre aux entreprises la possibilité d’opérer un vrai saut qualitatif dans leur gouvernance, en intégrant la maîtrise du risque numérique dans les réflexions de long terme. Il redonne aussi à ces professionnels de la sécurité un rôle à la hauteur de leurs responsabilités : celui de vigies éclairées dans un environnement numérique en constante mutation.
Car à l’ère des menaces persistantes, des obligations réglementaires renforcées et de la transformation digitale accélérée, la question n’est plus de savoir s’il faut écouter le CISO. Elle est de s’assurer qu’on le comprend.