Le paysage numérique des petites entreprises françaises change, lentement mais sûrement. Selon le baromètre 2025 de la maturité cyber des TPE et PME, publié par Cybermalveillance.gouv.fr, la prise de conscience progresse : 44 % des dirigeants estiment désormais que leur structure est fortement exposée aux menaces numériques, contre 38 % l’an dernier. Un chiffre qui traduit un réveil, certes tardif, mais réel face à l’intensification des attaques.
« Prendre conscience du risque ne suffit pas encore à s’en protéger. »
Car malgré cette vigilance croissante, la majorité des petites entreprises restent démunies. Manque de budget, de temps, de compétences : les obstacles s’accumulent, laissant un écart béant entre perception et préparation. Le rapport met ainsi en lumière une réalité paradoxale : mieux informées, les TPE et PME demeurent néanmoins vulnérables.
Le quotidien numérique des petites structures s’organise souvent autour de moyens limités. Le trio d’outils de base — antivirus, sauvegarde et pare-feu — s’impose désormais dans la plupart des entreprises : 84 % disposent d’un antivirus, 78 % réalisent des sauvegardes et 69 % ont un pare-feu actif. Des chiffres rassurants, qui traduisent une normalisation des réflexes élémentaires. L’hygiène numérique progresse : la politique de mots de passe est formalisée dans plus de la moitié des entreprises, et la double authentification gagne du terrain, présente dans 26 % des cas. Mais la sécurité, dans un environnement en mutation constante, ne se résume pas à ces fondamentaux.
« Le risque n’a pas disparu, il s’est déplacé. »
En 2025, 16 % des TPE-PME interrogées déclarent avoir subi un incident de cybersécurité. Le phishing reste la menace dominante, représentant 43 % des attaques signalées. Les failles non corrigées suivent, avec 18 %, tandis que la consultation de sites infectés est à l’origine de 11 % des incidents. Autant de portes d’entrée que des cybercriminels exploitent encore trop facilement. Pourtant, 7 entreprises sur 10 parviennent aujourd’hui à identifier la cause de l’incident subi — un signe encourageant d’une meilleure compréhension des mécanismes d’attaque et d’une culture technique en formation.
Mais cette vigilance ne suffit pas à contenir les pertes. Même si les effets des attaques s’atténuent légèrement, les conséquences restent lourdes : interruptions d’activité, pertes financières, atteintes à la réputation. Le baromètre souligne que 29 % des entreprises victimes ont subi une interruption de service et 11 % des pertes financières directes. Des proportions moindres qu’en 2024, mais encore trop élevées pour un tissu économique où chaque jour d’arrêt compte.
La question des moyens reste centrale. Trois quarts des TPE et PME consacrent moins de 2 000 euros par an à la cybersécurité. Un chiffre qui peine à couvrir ne serait-ce qu’un accompagnement technique ponctuel ou un audit minimal. Seules 15 % des entreprises envisagent d’augmenter leur budget en 2025, et à peine une sur cinq l’a déjà fait. Ce manque d’investissement traduit une situation structurelle : la cybersécurité est perçue comme un coût, rarement comme un facteur de pérennité.
« L’économie des petites entreprises repose sur la contrainte ; leur sécurité repose sur la débrouille. »
Les dirigeants le reconnaissent : 63 % évoquent le manque de compétences, 61 % des contraintes budgétaires, 59 % un manque de temps. Et, fait préoccupant, 28 % considèrent encore la cybersécurité comme une priorité secondaire. La culture du risque n’a pas encore franchi le cap du réflexe organisationnel.
Cette vulnérabilité s’accompagne d’un déficit d’accompagnement. Près de 40 % des entreprises s’appuient sur un prestataire informatique pour des conseils ou un support, 31 % consultent Cybermalveillance.gouv.fr, et seulement 19 % font appel à l’ANSSI. Le nouveau service 17Cyber, destiné à centraliser l’assistance, n’est connu que de 7 % des répondants. Un quart des TPE-PME déclarent même n’avoir aucun contact avec un acteur spécialisé. Cette déconnexion entre les besoins et les dispositifs disponibles limite la diffusion des bonnes pratiques, malgré les efforts des institutions publiques.
« La maturité cyber reste une affaire d’inégalités. »
Les structures de plus de cinquante salariés, ou celles déjà victimes d’une attaque, affichent une meilleure organisation : politiques internes, procédures de réponse, sensibilisation des équipes. Mais la grande majorité, constituée de micro-entreprises et de PME de moins de vingt personnes, navigue sans cap clair. Pour beaucoup, la cybersécurité demeure un sujet abstrait, relégué au rang des priorités « quand on aura le temps ».
Cette fracture est aussi économique. Là où une grande entreprise peut investir dans un SOC, un plan de continuité ou une supervision centralisée, la petite structure doit choisir : renouveler son matériel, se protéger contre le phishing, ou simplement maintenir son activité. L’absence de moyens transforme la cybersécurité en une gestion du risque au jour le jour, sans vision à long terme.
Pourtant, l’étude montre que les efforts de base paient. Les entreprises ayant adopté un minimum de bonnes pratiques — sauvegardes régulières, mots de passe solides, mises à jour systématiques — subissent des conséquences moindres lors d’une attaque. La résilience n’est pas qu’une question de budget ; c’est avant tout une question d’anticipation.
Il reste que la formalisation est quasi absente : 65 % des TPE-PME ne disposent d’aucune procédure écrite pour réagir en cas d’incident. Une attaque, même bénigne, peut alors provoquer un désordre majeur. L’absence de plan de réponse, de contact de crise ou de stratégie de communication fragilise la reprise et amplifie les impacts. Dans le contexte d’une économie de sous-traitance étendue, cette faiblesse locale peut devenir un risque systémique.
« Une TPE mal protégée, c’est parfois toute une chaîne d’approvisionnement qui s’expose. »
Les cyberattaques récentes visant des prestataires ou des fournisseurs de services illustrent cette interdépendance. La sécurité d’un grand donneur d’ordre repose souvent sur celle d’une multitude de petites structures, moins équipées mais tout aussi critiques. La montée en puissance de la directive européenne NIS2, qui imposera de nouvelles exigences de cybersécurité à certaines catégories d’entreprises dès 2025-2026, pourrait changer la donne en introduisant des obligations de conformité plus strictes, y compris pour les prestataires.
Face à ce défi, Cybermalveillance.gouv.fr reste un acteur clé. Sa mission d’assistance et de sensibilisation, combinée à ses ressources pratiques, constitue un point d’appui essentiel pour les dirigeants qui cherchent à comprendre leurs risques et à agir sans expertise interne. La plateforme a su rendre la cybersécurité plus accessible, en traduisant un vocabulaire souvent technique en démarches concrètes : guides, fiches réflexes, diagnostics. C’est une passerelle entre le besoin et la compétence, encore sous-exploitée.
L’enjeu, désormais, est de transformer cette sensibilisation en stratégie. Les entreprises doivent intégrer la cybersécurité à leur gouvernance, au même titre que la gestion financière ou la conformité réglementaire. Identifier les risques, définir des priorités, planifier des actions : autant d’étapes souvent absentes dans les petites structures. Or, cette approche structurée — même simplifiée — constitue la première marche vers la résilience.
Les progrès enregistrés par le baromètre 2025 ne doivent pas masquer le déséquilibre fondamental : la cybersécurité des TPE-PME françaises repose encore sur la bonne volonté des dirigeants plus que sur un cadre durable.
L’effort collectif engagé par les acteurs publics et les fédérations professionnelles commence à porter ses fruits, mais le fossé entre conscience et action reste profond.
En 2025, les TPE-PME françaises ne sont plus ignorantes du risque, mais encore trop souvent seules face à lui. Le défi des prochaines années sera de leur offrir les moyens — humains, financiers, méthodologiques — de transformer cette vigilance en véritable sécurité.
Parce qu’une cybersécurité fragmentée est, au fond, une sécurité illusoire.
Source : Cybermalveillance, maturité cyber des TPE-PME : encore un cap à franchir