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Le jeton (token), nouvelle clé de l’authentification : promesse de sécurité ou maillon faible ?

par | 16 Sep 2025

À l’ère du cloud généralisé et des architectures distribuées, l’identité numérique devient le premier périmètre de sécurité à surveiller. Or, cette identité ne repose plus sur un simple mot de passe, mais sur un petit objet souvent méconnu : le jeton d’authentification.

Longtemps, la sécurité des accès s’est appuyée sur une équation simple : un identifiant, un mot de passe. Mais cette approche a vécu. Elle ne résiste ni aux attaques par phishing, ni aux fuites de données, ni aux nouvelles exigences du numérique mobile et dématérialisé. À mesure que les entreprises migrent vers des applications SaaS, adoptent des modèles Zero Trust, et ouvrent leurs systèmes d’information à des utilisateurs multiples et distants, l’authentification devient un enjeu stratégique. Et au cœur de cette transformation se trouve un objet discret, mais omniprésent : le jeton.

« Invisible mais fondamental, le jeton est devenu la véritable clé d’entrée du monde numérique. »

Un jeton, ou token en anglais, est une chaîne de caractères générée par un serveur pour représenter temporairement une identité numérique et ses droits d’accès. Il permet de prouver qu’un utilisateur a été authentifié et peut interagir avec des ressources, sans devoir transmettre à chaque requête ses identifiants initiaux. Il agit comme un passeport numérique, valable pour une durée limitée, dans un périmètre donné. Concrètement, après une connexion réussie (login+MFA, par exemple), l’utilisateur reçoit un jeton qu’il présente ensuite pour accéder à d’autres services, sans avoir à se reconnecter à chaque fois.

Il existe plusieurs types de jetons, selon les protocoles utilisés et les besoins fonctionnels. Le plus courant dans les environnements modernes est le JWT (JSON Web Token), lisible en base64, qui contient des données encodées sur l’identité, les droits, et la durée de validité. Ce type de jeton est notamment utilisé dans les architectures REST, les API, et les applications SPA (Single Page Application). Autres formes notables : les jetons OAuth2, qui servent à déléguer l’accès entre services tiers (comme donner accès à une app Google via Facebook), ou les jetons SAML, plus utilisés dans les SSO d’entreprise (authentification fédérée).

« Un jeton vit, meurt… et peut être volé. »

Le cycle de vie d’un jeton d’authentification commence à sa génération par le serveur d’identité, souvent après une authentification forte. Il est ensuite transmis au client, généralement par en-tête HTTP ou stockage local, puis validé à chaque requête. Ce jeton possède une date d’expiration déterminée à l’avance, parfois de quelques minutes (token d’accès court), parfois de plusieurs heures ou jours (token de rafraîchissement). Il peut aussi être révoqué manuellement (ex. : déconnexion, changement de mot de passe, détection d’anomalie).

Mais ce cycle cache des fragilités. Car un jeton, une fois volé, devient une porte ouverte. Il peut être intercepté via une attaque XSS si stocké dans un navigateur mal protégé, ou récupéré par un attaquant via un MITM si les communications ne sont pas bien chiffrées. Certains attaquants utilisent aussi des techniques de rejeu (token replay), en réutilisant un jeton valide sur une autre session ou un autre appareil. Pire : si les jetons sont trop permissifs (droits trop larges), ou trop durables, ils offrent un accès quasi permanent à des ressources sensibles sans alerte visible.

« La sécurité des jetons ne repose pas que sur leur secret : elle dépend surtout de leur gestion. »

Pour éviter ces dérives, plusieurs bonnes pratiques sont recommandées par les experts en sécurité. Premièrement, limiter la durée de vie des jetons : un token d’accès devrait expirer en quelques minutes, et un token de rafraîchissement devrait être invalidé régulièrement. Ensuite, restreindre leur périmètre (scoping) : un jeton ne doit donner accès qu’aux ressources strictement nécessaires. Il est aussi recommandé de chiffrer les données sensibles contenues dans le jeton, même si elles ne sont pas toujours visibles côté client. Enfin, mettre en œuvre une détection d’usage anormal (utilisation simultanée depuis deux pays, accès hors horaires, etc.) peut permettre une révocation rapide.

À cela s’ajoute une exigence de rotation fréquente : les systèmes doivent renouveler les jetons régulièrement, sans intervention de l’utilisateur, pour réduire la fenêtre d’exploitation en cas de vol. Ce principe est central dans les stratégies Zero Trust, où l’accès n’est jamais définitivement acquis.

« Les régulateurs ne sont pas restés indifférents à cette logique d’authentification. »

Le RGPD, en Europe, impose une traçabilité des accès aux données personnelles. Cela inclut la journalisation des connexions, l’accès limité selon les rôles, et la possibilité de révoquer les droits à tout moment. Dans ce cadre, les jetons doivent être intégrés dans une politique de gestion des identités et des accès (IAM) cohérente. De même, les directives NIS2 et DORA, applicables aux opérateurs de services essentiels et aux entités financières, imposent des mesures de contrôle des accès distants, de supervision continue et de résilience. Dans les faits, cela se traduit souvent par des systèmes capables de détecter un jeton compromis et d’en bloquer immédiatement l’usage.

De plus en plus d’organisations se tournent vers une authentification contextuelle, voire adaptative. Cela signifie que le jeton ne suffit plus à lui seul : son acceptation dépend du contexte d’usage. Par exemple, un jeton sera considéré comme valide uniquement s’il est utilisé depuis un appareil enregistré, dans une plage horaire normale, et depuis une zone géographique connue. Ce modèle rend les attaques par vol de token beaucoup plus difficiles à réussir, car le simple objet ne suffit plus.

« Vers une authentification sans mot de passe… mais pas sans maîtrise. »

À terme, l’authentification pourrait reposer intégralement sur des jetons, complétés par des mécanismes biométriques ou des clés de sécurité physiques (comme les Yubikeys). Dans cette perspective, le mot de passe deviendrait marginal, voire inutile. Mais cela ne signifie pas que le risque s’évanouit. Au contraire, la sécurité se concentre désormais sur les mécanismes de génération, de validation et de révocation des jetons. Cela implique des infrastructures robustes, une surveillance constante, et une compréhension approfondie des interactions entre systèmes.

Car les jetons ne sont pas magiques. Mal configurés, mal stockés ou mal utilisés, ils deviennent le maillon faible d’une chaîne pourtant conçue pour sécuriser les accès. Dans un monde où l’authentification devient dématérialisée, distribuée, éphémère, la capacité à gouverner ces objets volatils devient aussi cruciale que celle de sécuriser un mot de passe fort. Et c’est peut-être là le paradoxe de cette nouvelle ère de cybersécurité : à vouloir supprimer le facteur humain, on réinvente des clés, mais sans serrure.

La sécurité des systèmes modernes ne repose plus sur ce que vous savez (votre mot de passe), mais sur ce que vous avez (votre jeton)… et sur la manière dont vous l’utilisez.