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EuroStack : l’ambition européenne pour un cloud souverain

par | 22 Avr 2025

Alors que les questions de souveraineté numérique s’imposent comme un enjeu stratégique majeur pour l’Union européenne, le cloud est devenu l’un des terrains les plus sensibles. Dans un marché dominé par les géants américains que sont AWS, Microsoft Azure et Google Cloud, l’Europe tente de reprendre la main. L’initiative EuroStack, qui vise à structurer une alternative européenne, s’inscrit dans cette dynamique. Entre volontarisme politique, ambitions industrielles et réalité technologique.

Une dépendance critique

Le cloud est aujourd’hui l’infrastructure centrale de la transformation numérique : il alimente les services publics, la santé, la finance, la défense, l’éducation. Or, plus de 70 % de cette infrastructure en Europe repose sur des acteurs non européens. Cette dépendance a des conséquences multiples :

– Risque juridique, notamment avec l’application extraterritoriale du Cloud Act américain.
– Vulnérabilité à l’espionnage économique ou stratégique.
– Absence de maîtrise des données critiques, pourtant soumises à des obligations de protection renforcées par le RGPD.

Cette situation inquiète autant les autorités que les entreprises. Plusieurs études, dont celles de l’ENISA ou du Club des DSI européens, confirment que la majorité des DSI se sentent contraints d’utiliser les offres américaines par défaut, faute d’alternatives solides sur le plan technique et commercial.

EuroStack : une pile européenne pour rétablir l’équilibre

EuroStack se présente comme une initiative industrielle et technologique visant à proposer une pile complète de services cloud européens. Inspirée des logiques open source et d’interopérabilité, elle vise à offrir une alternative crédible aux stacks proposées par les hyperscalers.

Les objectifs affichés sont clairs :

– Garantir un cloud conforme aux exigences du RGPD et des règlements européens.
– Proposer une infrastructure interopérable, documentée et transparente.
– Fédérer un écosystème européen autour de briques technologiques ouvertes.
– Permettre une véritable autonomie stratégique numérique.

Plusieurs briques sont déjà disponibles ou en cours de stabilisation : orchestration via Kubernetes européens, stockage distribué chiffré, connecteurs pour identités décentralisées, solutions de virtualisation souveraines, etc. L’idée est de constituer un ensemble cohérent et modulaire.

Qui porte EuroStack ?

Parmi les acteurs impliqués figurent des fournisseurs bien identifiés comme OVHcloud, Scaleway, Outscale (filiale de Dassault Systèmes), mais aussi des partenaires technologiques plus discrets qui contribuent aux couches basses ou aux API. Des organismes publics tels que l’INRIA ou le CEA Tech participent aussi à des travaux techniques.

Il n’existe pas encore de gouvernance unique, mais des discussions sont en cours sous l’égide de structures comme Gaia-X, la Commission européenne ou certains ministères de l’économie. Le manque de clarté sur la structure de pilotage reste toutefois un point faible, souvent relevé par les analystes du secteur.

Freins technologiques et commerciaux

EuroStack ne part pas de rien, mais la route est longue. Il faut non seulement égaler les performances techniques des leaders du secteur, mais aussi répondre à des attentes commerciales très concrètes :

– Service client 24/7 fiable et multilingue
– Modèles de facturation clairs, prédictibles et adaptés
– Capacité à proposer des services managés (databases, IA, CI/CD, etc.)

Les hyperscalers sont dominants non seulement par leur technologie, mais aussi par leur maîtrise du cycle de vente, leur capacité à fournir des garanties de service (à l’international), et leur réseau d’intégrateurs. Ce sont des éléments que les acteurs européens doivent encore consolider.

La commande publique comme levier d’accélération

L’un des leviers les plus souvent cités est celui de la commande publique européenne. Si l’Union ou ses états membres imposent progressivement l’usage de stacks conformes à EuroStack pour leurs administrations, leurs hôpitaux, leurs systèmes critiques, alors la base d’adoption pourrait s’élargir naturellement.

Ce mouvement pourrait aussi s’accélérer face à ce que certains observateurs considèrent comme une instabilité croissante dans la politique numérique américaine. La suspension temporaire du financement du programme CVE par le gouvernement des États-Unis, bien qu’évité de justesse, a rappelé combien certaines briques de l’infrastructure mondiale de cybersécurité dépendent de décisions unilatérales. Dans ce contexte, de plus en plus de voix appellent à une autonomie stratégique qui ne serait pas uniquement technologique, mais aussi politique. Pour l’Europe, cela signifie construire ses propres références, ses propres mécanismes de confiance, et ses propres solutions, indépendamment des aléas décisionnels extérieurs.

La France a amorcé ce mouvement avec la doctrine « Cloud de confiance », adossée au label SecNumCloud de l’ANSSI. D’autres pays comme l’Allemagne ou les Pays-Bas explorent des voies similaires. Le passage d’une stratégie de communication à une stratégie d’achat structurante est l’étape attendue.

L’un des leviers les plus souvent cités est celui de la commande publique européenne. Si l’Union ou ses états membres imposent progressivement l’usage de stacks conformes à EuroStack pour leurs administrations, leurs hôpitaux, leurs systèmes critiques, alors la base d’adoption pourrait s’élargir naturellement.

La France a amorcé ce mouvement avec la doctrine « Cloud de confiance », adossée au label SecNumCloud de l’ANSSI. D’autres pays comme l’Allemagne ou les Pays-Bas explorent des voies similaires. Le passage d’une stratégie de communication à une stratégie d’achat structurante est l’étape attendue.

Quelle place pour les DSI et les startups ?

Les DSI européens ont un rôle central dans la validation ou le rejet des briques EuroStack. Ils demandent avant tout des garanties : performance, support, portabilité des workloads, respect des SLA. Les réponses techniques doivent être accompagnées d’un discours de preuve, et non d’engagements abstraits.

Côté startups, EuroStack pourrait offrir une plateforme stable, interopérable, et européenne, pour déployer des services innovants sans dépendre des API privées des hyperscalers. Encore faut-il que les outils soient suffisamment documentés et accessibles.

Vers une réappropriation progressive

L’inconstance de certaines décisions américaines en matière de cybersécurité, comme la menace passagère de retrait du financement de MITRE et du programme CVE, agit comme un électrochoc. Elle rappelle aux acteurs européens que même les fondements d’une infrastructure globale de confiance peuvent être soumis à des logiques internes étrangères, parfois imprévisibles. Cette incertitude pousse l’Europe à accélérer la construction de ses propres référentiels, standards et initiatives d’hébergement et de sécurité.

EuroStack n’est pas une révolution, mais une tentative structurée de reconstruire une chaîne de valeur européenne dans le cloud. Il ne s’agit pas de rattraper Amazon ou Microsoft sur tous les terrains, mais de proposer une alternative sûre, conforme et fiable sur des segments prioritaires.

L’Europe a les compétences, les acteurs, les besoins et la volonté politique. Ce qui manque encore, c’est la cohésion, la lisibilité et l’exigence de résultat. EuroStack peut être un outil de reconquête, à condition de ne pas reproduire les erreurs de gouvernance du passé.

Ce chantier est avant tout technique, mais sa réussite sera déterminée par des choix très concrets : où investir, avec qui, et dans quel cadre. Si ces questions trouvent des réponses claires, EuroStack pourrait devenir autre chose qu’une ambition : une infrastructure de confiance.