Avec l’essor du numérique, la sécurité des données personnelles est devenue un enjeu majeur pour les individus, les entreprises, et les gouvernements. Nous vivons à une époque où chaque clic, chaque transaction, et chaque interaction en ligne peuvent potentiellement exposer des informations sensibles. Nous explorons ici les mécanismes de vol de données et les diverses manières dont elles peuvent être exploitées.
Le processus de vol de données
Le vol de données commence souvent par une cyberattaque ciblée. Les attaquants utilisent diverses méthodes pour pénétrer les systèmes d’information (SI) : phishing, malware, ransomware, ou encore des failles de sécurité non corrigées. Ces attaques permettent d’accéder à des bases de données contenant des informations sensibles comme des identifiants de connexion, des numéros de carte bancaire, des informations personnelles, et parfois même des données médicales.
Il est important de noter que le vol de données ne découle pas toujours de la négligence individuelle. En effet, des institutions et des entreprises peuvent être les cibles de cyberattaques, exposant ainsi les données de milliers, voire de millions de personnes. Un exemple récent est l’incident touchant France Travail (anciennement Pôle Emploi), où une cyberattaque massive a compromis les informations personnelles de « potentiellement » 43 millions de personnes.
Cet incident souligne que même les grandes organisations, censées protéger les données sensibles, peuvent devenir des cibles, démontrant que la responsabilité de la sécurité des données est partagée entre les individus et les institutions.
Une fois l’intrusion réussie, les pirates extraient ces données, souvent de manière discrète pour éviter de se faire détecter rapidement. Dans certains cas, des mois peuvent s’écouler avant que la fuite ne soit découverte, laissant ainsi aux attaquants tout le temps nécessaire pour monétiser les informations volées.
Le rôle du dark web : la bourse des données volées
Une grande partie des données volées se retrouve sur le dark web, une section cachée du web accessible uniquement via des logiciels spécifiques comme Tor. Ce réseau sombre est le théâtre de transactions illicites où les informations volées sont proposées à la vente comme n’importe quelle autre marchandise. Ces données sont souvent vendues en vrac ou regroupées en packs spécialement conçus pour attirer les acheteurs. Ces packs peuvent inclure des informations classées par type ou par catégorie, transformant ainsi les données volées en produits marketés répondant aux besoins spécifiques des cybercriminels.
Les forums spécialisés et les places de marché clandestines sur le dark web permettent aux cybercriminels de vendre et d’acheter des identifiants de connexion, des informations bancaires, des numéros de téléphone, et des informations personnelles complètes, parfois appelées « fullz ». Les identifiants de connexion, par exemple, peuvent se vendre à des prix variables en fonction de la valeur perçue du service associé, tandis que les numéros de carte de crédit, particulièrement prisés, peuvent être proposés avec ou sans informations complémentaires comme les adresses postales et les codes CVV. Les numéros de téléphone, quant à eux, sont souvent utilisés pour lancer des campagnes de spam SMS, exposant les victimes à des tentatives de phishing ou à des publicités indésirables.
La « fraîcheur » des données est un facteur clé dans leur valorisation. Des données récemment volées, notamment des informations bancaires encore valides, peuvent atteindre des prix élevés sur le marché clandestin. Par exemple, une carte de crédit avec un solde élevé disponible peut se vendre entre 10 et 100 dollars, tandis qu’un « fullz » complet peut atteindre plusieurs centaines de dollars, surtout si les données sont encore à jour et exploitables.
L’utilisation des cryptomonnaies comme le Bitcoin ou Monero assure un anonymat presque total lors des transactions, ce qui complique grandement la tâche des autorités pour tracer l’origine et la destination des fonds. Certains cybercriminels ont recours à des « mixers » de cryptomonnaies, des services qui brouillent l’origine des fonds pour une discrétion maximale.
En plus de ces données, le dark web propose une multitude de services complémentaires, tels que des kits de phishing, des ransomwares en tant que service RaaS * (Ransomware as a Service), et même des services d’anonymisation sophistiqués. Ces outils permettent à des criminels moins expérimentés de lancer leurs propres attaques avec une relative facilité, renforçant ainsi l’écosystème criminel.
Les transactions sur le dark web sont souvent dominées par des groupes organisés, parfois appelés « cartels numériques », qui contrôlent une grande partie de ce commerce. Ces organisations disposent de ressources considérables et opèrent avec une relative impunité, bien que les risques existent même pour eux, tels que des arnaques ou des cyberattaques entre criminels.
Malgré le caractère souterrain de ces activités, les forces de l’ordre, comme Europol, Eurojust, Gendarmerie Nationale – C3N, mais aussi ENISA, ANSSI mènent régulièrement des opérations pour démanteler ces marchés noirs et arrêter les cybercriminels les plus notoires. Ces efforts montrent que, même si le dark web offre une certaine protection, il n’est pas à l’abri de la justice.
Les usages des données volées, entre fraude et extorsion
Les données volées ne restent pas longtemps inutilisées. Voici les principales façons dont elles sont exploitées par les cybercriminels :
Fraude financière : c’est l’utilisation la plus immédiate des données volées. Les criminels utilisent les numéros de carte pour effectuer des achats en ligne, retirer de l’argent, ou acheter des biens de valeur qu’ils revendent ensuite pour un bénéfice. Ils peuvent également revendre ces informations à d’autres groupes criminels.
Vol d’identité : avec des informations suffisamment complètes, un cybercriminel peut usurper l’identité de sa victime. Cela permet d’ouvrir de nouveaux comptes bancaires, de contracter des prêts, de louer des propriétés, ou même de mener des activités criminelles sous une fausse identité.
Escroquerie et phishing : les informations volées sont souvent utilisées pour orchestrer des attaques de phishing plus sophistiquées. En utilisant des informations personnelles, les attaquants peuvent créer des e-mails ou des messages très convaincants pour inciter la victime à divulguer d’autres informations ou à installer des logiciels malveillants.
Extorsion : dans le cas de données sensibles ou compromettantes (comme des photos privées ou des informations confidentielles d’entreprise), les attaquants peuvent demander une rançon pour ne pas divulguer les informations. Cette pratique, connue sous le nom de sextortion ou ransomware, est de plus en plus courante.
Surveillance et espionnage : les états-nations sont également des acteurs importants dans le vol de données. Les informations volées peuvent être utilisées pour espionner des personnalités politiques, des entreprises stratégiques, ou pour mener des opérations de désinformation à grande échelle.
Le marché gris. Certaines entreprises achètent des données volées …
Il est important de noter que toutes les données volées ne sont pas utilisées à des fins criminelles directes. Certaines entreprises, souvent dans des juridictions où la régulation est laxiste, peuvent acheter des ensembles de données pour les exploiter à des fins de marketing ou de veille concurrentielle.
Cela crée un marché gris où la frontière entre légalité et illégalité est floue. Ces entreprises peuvent se justifier en prétendant qu’elles ne savaient pas que les données avaient été obtenues de manière illicite, mais en réalité, elles profitent indirectement du vol de données.
Les conséquences pour les victimes
Les conséquences d’un vol de données peuvent être dévastatrices pour les victimes. Outre les pertes financières directes, le vol d’identité peut entraîner une longue bataille pour restaurer sa réputation et corriger les erreurs sur son dossier de crédit. De plus, l’impact psychologique d’une telle violation de la vie privée ne doit pas être sous-estimé.
Pour les entreprises, la fuite de données peut conduire à une perte de confiance des clients, à des poursuites judiciaires coûteuses, et à des amendes importantes de la part des régulateurs.
Quid de la responsabilité des entreprises, administrations, structures concernées par ces vols
En Europe, la protection des données personnelles est strictement encadrée par le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD / GDPR), en vigueur depuis mai 2018. Ce règlement impose aux entreprises et aux administrations des obligations rigoureuses pour prévenir les cyberattaques et limiter les conséquences des violations de données.
Le RGPD exige que ces entités garantissent la confidentialité et la sécurité des informations qu’elles traitent. En cas de vol de données, elles doivent rapidement informer les autorités compétentes, comme la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) en France, dans un délai de 72 heures, et notifier les personnes concernées si leurs droits sont en danger. De plus, elles doivent mettre en œuvre des mesures de sécurité adaptées, comme le chiffrement des données et la gestion stricte des accès.
Les sanctions pour non-conformité peuvent atteindre 20 millions d’euros ou 4 % du chiffre d’affaires annuel mondial de l’entreprise, soulignant l’importance de prendre ces obligations au sérieux. Face à l’augmentation des cyberattaques, il est crucial pour les entreprises et les administrations d’aller au-delà de la simple conformité en adoptant une approche proactive pour protéger les données personnelles, incluant une évaluation continue des risques et la sensibilisation des employés aux menaces.
La responsabilité de protéger nos données. Tous concernés !
Le vol de données est un fléau moderne qui touche des millions de personnes et d’entreprises chaque année. Les données volées ne disparaissent pas simplement dans le néant ; elles alimentent un écosystème souterrain où elles sont exploitées pour divers profits criminels.
La responsabilité de la sécurité des données incombe non seulement aux individus, mais aussi aux entreprises, qui doivent mettre en place des mesures robustes pour protéger ces informations sensibles. Face à cette menace, la meilleure défense reste une combinaison de technologie, de vigilance, et d’éducation en matière de cybersécurité.
En adoptant des pratiques rigoureuses, il est possible de réduire considérablement les risques et de protéger ce qui est devenu l’une des ressources les plus précieuses de notre époque, nos données.
* RaaS (Ransomware as a Service) : Le RaaS est un modèle de distribution de logiciels malveillants où des cybercriminels développent et proposent des kits de ransomware à d’autres individus ou groupes, appelés affiliés. Ces affiliés n’ont pas besoin de compétences techniques avancées pour mener des attaques de ransomware, car ils utilisent les outils fournis par les développeurs en échange d’une part des profits générés par les rançons. Ce modèle facilite et accélère la propagation des attaques par ransomware en rendant ces outils accessibles à un plus grand nombre de cybercriminels.